La Vjosa,

Le plus long fleuve sauvage d’Europe

La Vjosa est un fleuve qui prend sa source dans les montagnes de l’Épire en Grèce, traverse l’Albanie d’Est en Ouest et se jette dans la mer Adriatique après une course de 272 kilomètres. Considéré comme le dernier grand fleuve sauvage d’Europe, Russie à part, son cours n’est interrompu par aucune infrastructure humaine. La préservation de ses débits naturels et l’absence d’obstacles à son transport sédimentaire ont permis d’y maintenir l’équilibre des habitats naturels favorables à de nombreuses espèces animales (Loutre d’Europe, Anguille européenne, Loche des montagnes du Pinde…). Ses larges plaines alluviales témoignent de l’importance des milieux influencés par la dynamique des crues annuelles. Soumises aux changements, les communautés végétales qui s’y trouvent se succèdent de manière cyclique, au rythme des inondations. Les berges non endiguées sont modelées par l’action des processus d’érosion, laissant de ce fait libre cours au tracé de la rivière qui évolue dans un système de méandres instables.

Localisation de la Vjosa

Une occupation humaine ancienne

Outre ses richesses naturelles, le bassin se distingue par l’inestimable patrimoine historique qu’il héberge. Plusieurs sites archéologiques attestent de la présence humaine depuis l’Antiquité. Les vestiges de la cité d’Apollonia, carrefour commercial des civilisations illyriennes, grecques puis romaine, sont localisés sur la partie nord du delta dans la région de Fier. Ceux d’Antigonea marquent le règne du roi Pyrrhus et de ses descendants macédoniens, défaits par Rome au deuxième siècle avant notre ère. Ils font face à la ville de Gjirokaster dont la citadelle et les bâtisses Ottomanes sont classées au patrimoine mondial de l’UNESCO. Les chants iso-polyphoniques, tradition populaire albanaise ancrée dans la vallée, sont quant à eux inscrits sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité.

Un avenir incertain

Devant la consommation croissante en électricité et dans une volonté d’indépendance énergétique, un schéma d’aménagement hydroélectrique à grande échelle est en développement dans les états des Balkans. La topographie accidentée et l’abondance des cours d’eau de montagne dotent la péninsule d’un haut potentiel pour l’exploitation de l’énergie « bleue ». Nombre de ces projets (46%) ciblent des zones protégées par la législation nationale ou européenne. Dans un contexte socio-politique mouvant, l’ex-pays communiste évolue d’une économie traditionnelle vers une économie mondialisée à l’image de ses voisins européens. Parmi les enjeux qui accompagnerons ces changements, les aspects environnementaux et culturels occuperons certainement une place importante.

Future Kalivaç dam on Vjosa River © Roland Dorozhani

Le bassin de la Vjosa compte huit projets de barrages, dont deux sont encore appuyés par le gouvernement. Le plus avancé est celui de Kalivaç où le chantier a été commencé, interrompu, puis repris par une compagnie turque fin 2017. Le second projet, planifié en amont de la ville de Poçem, a été annulé en mai 2017 par la justice albanaise pour manquement à la consultation publique préalable à la réalisation de l’ouvrage et non-respect du droit environnemental. Cette abrogation fut une première à l’échelle nationale, mais elle ne garantit pas l’abandon durable d’un barrage sur le site.

Une mobilisation croissante

Les ONG EuroNatur, RiverWatch et Ecoalbania sont activement impliquées sous la bannière de la campagne « Save the Blue Heart of Europe » (voir le site) contre les entreprises d’aménagement du fleuve. Elles mobilisent des acteurs locaux comme internationaux, militants citoyens, scientifiques et hommes politiques et plaident pour la signature d’un moratoire sur la construction des barrages. Résonnant depuis peu à l’international, leurs revendications sont relayées par des journaux comme The Times (USA), l’hebdomadaire Der Spiegel (Allemagne), ou encore par l’intervention de la vice-présidente du parlement Européen en faveur de la préservation de la Vjosa.

En avril 2016, un congrès rassemblait à Tirana des chercheurs venus dresser le bilan des connaissances disponibles sur la Vjosa. Le site, de part son unicité, fait l’objet d’un engouement scientifique depuis quelques années : l’intégrité préservée du cours d’eau constitue un état de référence pour des écosystèmes fluviaux.

Des particuliers engagés tentent aussi, à leur échelle, de diffuser l’information auprès du public. C’est le cas des amateurs de sport d’eau vive et de certains cercles naturalistes. En septembre 2017, le collectif Albanyak est parti, en partenariat avec le programme Rivières Sauvages, dans le but de filmer le fleuve et les acteurs de sa protection. Les nouvelles de leur descente en kayak et de la suite du projet sont disponibles sur ce site.

Les actions envisageables dans le cadre du programme « Rivières Sauvages »

Entamée par l’équipe Albanyak en lien avec l’ONG EcoAlbania, une version simplifiée de la grille d’évaluation du label « Site Rivières Sauvages » a été remplie lors de la descente en kayak. Il apparait que la Vjosa, de sa source à son embouchure, présente toutes les caractéristiques techniques d’un candidat idéal au futur label européen. Cependant, l’évaluation reste à approfondir, du fait du manque de données disponibles. D’autre part, les opportunités de mobilisation des acteurs locaux pour l’élaboration d’un programme d’action solide restent à définir, dans ce contexte socio-politique en pleine évolution.

Prochaines étapes de travail :

  • Prise en compte des paramètres de la Vjosa pour ajuster la grille d’évaluation « Rivières Sauvages » à l’échelle européenne.
  • Échanges avec les acteurs locaux (ONG, collectivités, acteurs privés) sur l’intérêt du label pour la reconnaissance et la préservation de la Vjosa, et sur les possibilités d’action.